Avec les voix de la terre

Dans la lettre N°3, j’ai évoqué Jérémy Cronin, poète sud-africain. Je l’ai découvert dans l’anthologie « Poèmes d’Afrique du Sud » composée par Denis Hirson (1). Une anthologie avec des poèmes souvent nés à l’oral, venus du bantou, du bochiman, du zoulou, du xhora et traduits en anglais ou en afrikaans.

L’écriture de Jérémy Cronin puise dans la terre, les voix qui l’entourent, celles des hommes, des femmes, des enfants, les paysages qui illuminent, les dialectes, les couleurs de peau, le noir du charbon, le brun des montagnes. On entend les syllabes nées dans les taudis, le tremblement des wagons et les voyelles à peau tendue. 

Ses mots résonnent, ils nous disent combien il faut faire attention à chacun autour de nous, à chaque chose. C’est là qu’il faut puiser notre force, avec les voix de notre terre.

Il a vécu l’apartheid.

Denis Hirson rapporte dans l’introduction de son anthologie les paroles de Oupa Thando Mthimkulu :

Il n’y a pas pire que l’exil à l’intérieur du pays”

Denis Hirson poursuit : 

mais peu de poètes sont pour l’instant en mesure de donner forme à la mémoire de l’apartheid. 

Ce qu’ils ont su faire, par contre, c’est inventer les voix de la terre, conscients que son avenir est une énigme plus qu’un rêve.

Voici le texte de Jérémy Cronin, Apprendre à parler :

Apprendre à parler

Avec les voix de la terre,

Fouiller les discours de ses rivières,

Saisir dans le grognement confus,

Bégaiement, cri, appel, bredouillement, embrouillaminis

Un sens de l’essence de ces pierres

D’où tous les mots sont ciselés.

Suivre avec la langue la voie des wagons

Disant le suffixe de leurs maux en -kuil, -pan, -fontein,

Dans des noms d’eau qui confirment

La sécheresse de leurs façons.

Voir les lieux d’occlusion, ou comment

L’aurore lèche un marais.

Ensevelir ma bouche dans le creux de ton bras,

Dans ce planétarium,

Début pectoral du cœur du temps

Là en bas près du niveau d’eau, sentir

La pleine lune battre

Dans l’arrière-gorge

Sa voyelle de peau tendue

Écrire un poème avec ces mots-là :

Sur la tête de ma mère

Stompie, stickfast, golovan,

Sangololo, juste boombang, juste

Pour comprendre les moindres inflexions

Exprimer sans avaler

Les syllabes nées dans les taudis, ou attraper

Le train de cinqueuetqua

de Channisbou, arriver

Au chant de basse de l’équipe des mineurs

Lueur minérale de la résolution sans faille de notre peuple.

Apprendre à parler

Avec les voix de cette terre. (2)

(1) Poèmes d’Afrique du Sud, Anthologie composée par Denis Hirson, Ed. Actes Sud et Ed. Unesco. 2001

(2) Jérémy Cronin, Apprendre à parler. Il est né en 1949, il a étudié la philosophie à l’université du Cap et à la Sorbonne.

Lettre d’un coloprteur-liseur N°4

André Cohen Aknin (AAKC)

http://briot-cohenaknin.hautetfort.com

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